« Elle descendit du train, le bas de sa robe encore souillé de la boue de Géorgie, le rêve de Philadelphie roulant telle une bille dans sa bouche, et la crainte de la grande ville plantée dans sa poitrine comme une aiguille. » Après « trente-deux heures passées sur un siège dur dans l’agitation du wagon réservé aux Noirs », Hattie arrive en gare de Broad Street avec sa mère et ses sœurs. Elles fuient le Sud ségrégationniste. Elle a 15 ans, nous sommes en 1923. À peine débarquée, elle observe que « les Noirs ne descendaient pas du caniveau pour laisser passer les Blancs ».
C’est donc sur cette terre que Hattie va construire sa vie, et sa tribu. Elle aura douze enfants. C’est à travers leurs portraits que nous la suivons. Haletants. Tournant page après page. D’abord les jumeaux Philadelphia et Jubilee, petits êtres juste de pas- sage, aux poumons si serrés… Puis Floyd le trompettiste, Six le prédicateur, Ruthie, Ella, la riche Alice et Billups, Franklin, Bell, Cassie la folle, Sala… De 1925 à 1980 s’imposent en filigrane le portrait d’une mère lumineuse et très imparfaite et celui non moins accidenté d’un pays qui porte toujours en son cœur la possibilité d’un rêve. Il y a de la chair, du sable, la brûlure du soleil, la poussière, de la violence et un infini amour dans ce premier roman. Ayana Mathis : retenons ce nom.
Les Douze Tribus d’Hattie, d’Ayana Mathis.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par François Happe. Éd. Gallmeister, 320 pages, 23,40 euros.
Publié dans Causette #51 – Décembre 2014