« Si Suzanne n’est pas rentrée ce soir-là, c’est qu’elle a rencontré l’ours » et que celui-ci l’a séquestrée pendant trois ans. Pensez, la plus jolie fille du village ! De cette union contre nature est né notre ours narrateur. À peine libérés, la mère et l’enfant seront séparés. Ce dernier perdra toute apparence humaine pour devenir ce bel ours poilu, grand et puissant. Mais humain en émotion. Un ours « talentueux, docile et secret ». Il est acheté par un montreur d’ours, « nous formions un duo efficace, un bon attelage, un monde », puis, revendu, il traversera l’océan dans la tempête et deviendra un ours patineur dans un cirque. Là, au milieu d’autres animaux et de monstres humains, il comprend que c’est auprès de ces derniers qu’il doit être. Madame Yucca, Alphonsine et Octavia viennent parfois se blottir contre son ventre. « Car seules les femmes savent, seules les femmes ont vu l’homme et ont vu l’ours réunis sous la même peau… »
C’est une histoire folle, riche, ciselée, gorgée d’émotions. C’est une histoire triste et douce. Parfois on voudrait s’extraire pour prendre le temps de filer la métaphore, ou respirer un peu, mais l’ours avance et nous ne pouvons rien faire d’autre que marcher dans ses pas. On ne peut pas s’arrêter et réfléchir. Ni réaliser notre fantasme d’enfant : qu’il nous serre dans ses bras. Ça, l’ours le refuse.
La Peau de l’ours, de Joy Sorman. Éd. Gallimard, 157 p., 16,50 euros.
Publié dans Causette #50 – Novembre 2014