Ce petit trou au coin de l’œil, cette balafre au creux des reins, ces délicats bracelets sur de tendres poignets… Cicatrices impudiques qui, reliées les unes aux autres sur un même corps, livrent au regard de l’autre les marques d’une vie en mouvement. Des plus charmantes, souvent héritées de l’enfance (varicelle, chutes de vélo, ciseaux mal maîtrisés), aux plus dramatiques (opérations, brûlures, tentatives de suicide), chaque fois la peau s’est fendue en deux, parfois elle a été recousue. Elle a guéri. Mais il reste cette trace. Visible. « Le souvenir commence avec la cicatrice », écrivait Alain. C’est vrai, chacun connaît l’histoire de ses cicatrices et éprouve un étrange plaisir à les raconter. Une petite guerre bien à nous dont nous sommes sortis vainqueurs, pour la plupart. Les cicatrices de l’âme, elles, sont des béances bien plus difficiles à combler. Invisibles. La déflagration d’un deuil, d’un attentat ou d’une atrocité commise sous nous yeux souffle tout sur son passage. Mais comment recoudre le chagrin, la peur ou l’effondrement ? On parvient aujourd’hui à atténuer les souffrances, soulager les traumatismes et permettre à l’individu de se reconstruire, de retrouver l’intégrité de son esprit, qui permet de réintégrer la société.
Il y a les cicatrices infligées et celles que l’on choisit (tatouages, piercings, scarifications…), comme un marqueur d’identité. Et il y a la cicatrice originelle, allouée à chacun d’entre nous : le nombril. Ce point commun à l’humanité et porteur – dans ses premières heures, bien sûr, n’allez pas le charcuter aujourd’hui ! – de ces cellules souches qui sont la promesse de bien des réparations. Allez, j’ose : la cicatrice, une source de vie ?
Dossier réalisé en collaboration avec Jeanne Ray, Antonio Fischetti, Adélaïde Robault, Pauline Marceillac, Blanche Williams.
Photo : Alain Soldeville / Picturetank
Publié dans Causette #34 – Avril 2013