De quoi la vulve est-elle le nom ?

Alain Rey, 84 ans, est le lexicographe le plus connu de France. Grand chef du Petit Robert, il a longtemps présenté aux Français, sur France Inter, France 2 ou Canal +, l’incroyable diversité de l’origine et du sens des mots de notre langue. On lui a demandé, autour d’un petit café, ce qu’il pensait de “vulve”.

Causette : « Vulve » est un mot, en français, qui souffre d’être mal aimé… Est-ce que ça a toujours été le cas ?

Alain Rey : Le mot vient du latin. À l’époque, vulva qualifiait à la fois l’intérieur et l’extérieur du sexe féminin : le « mont de Vénus » (pénil), les grandes et petites lèvres (qu’on appelle « Nymphes »), les organes érectiles, les glandes de Bartholin (qui produisent la cyprine) et l’orifice vaginal. Il désignait aussi le ventre de la truie cuisiné ou farci, dont les Romains étaient friands ! Au Moyen Âge et au XVIe siècle (l’époque
galante), le vocabulaire est fleuri et très positif. La preuve : les blasons 1 sont des éloges précieux du corps féminin. C’est à partir du XVIIIe siècle qu’apparaissent les mots déplaisants, avec Sade, par exemple. On va même calquer sur un caractère négatif masculin le nom d’un organe féminin, le con. C’est Mérimée qui écrit dans sa correspondance : « Cet homme est un véritable con, comme dirait notre ami Stendhal ! » Dans le même registre, « déconner » décrivait à l’origine l’action de « sortir du con », de débander…

Causette : En Italie, on appelle la vulve « figue », en Belgique « ballotin », en Norvège
« grotte de miel » et au Portugal, on parle de « beignet »… Le français a-t-il la même richesse ?

A.R. : Nous aussi, nous avons une vraie variété lexicologique : berlingot, choune, cramouille, fendasse, craque, craquette, frifri, baba, abricot, maternelle (pour l’utérus). On a motte, touffe, chatte, minette ou minet en rapport avec la pilosité (en anglais, c’est beaver, « castor »). Pour la forme, on a « moule », qui est péjoratif juste pour son sens figuré. Le but, c’est de passer par la description pour ne pas parler directement de la chose, qui est tabou. Pour ne pas dire, vulve, vagin ou clitoris, bien sûr.

Causette : Dans La Langue sous le joug, vous souligniez le fait que le mot participe, voire nourrit, une pensée sociétale…

A.R. : Bien sûr, et dans le cas des qualificatifs de la vulve, c’est criant. Tout, dans le vocabulaire que l’on a cité, trahit soit le désir, soit la peur du mâle. C’est le fameux vagina dentata, le vagin denté, de Freud… La dérision ou la description négative du sexe féminin, c’est le signe que la langue française est extraordinairement antiféministe. Ça vient de la tradition chrétienne et ça se traduit dans la langue. C’est pour ça qu’on a du mal à former des féminins, par exemple pour les noms de métier. « ProfesseurE » est un barbarisme, vous vous rendez compte !

Causette : Si on vous écoute, un mot, lorsqu’il est de plus en plus usité, peut entrer dans l’usage courant et donc dans le dictionnaire. N’auriez-vous pas un petit nom sympathique pour qualifier la vulve ?

A.R. : Dans l’idéal, il faudrait un nom inventé par une femme… Le seul que je connaisse, c’est celui d’une petite fille de 5 ans, qui n’a pas dû l’inventer : « quiquine » (équivalent, je pense, du zizi ou de la quéquette des gamins). Je trouve sympathique le mot « minette ». Sinon, on peut revenir aux jolis mots des blasons du XVIe siècle, comme « sadinet » ou « jardinet ». Mais encore une fois, on utilise toujours des diminutifs. Bizarrement, le diminutif est positif en français, mais on peut toujours soupçonner qu’il diminue la femme. D’ailleurs, faites attention, dans Causette, il y a -ette !

Avec Anne-Laure Pineau

À LIRE : Trop forts, les mots ! Alain Rey et Zelda Zonk. Éditions Milan.

1. Le blason est un court poème célébrant une partie du corps féminin. Il existe des blasons des dents, des seins, des yeux, de la bouche et, logiquement, du con !

Publié dans Causette #26 – Juillet/Août 2012

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