« Une petite lèvre est une merveille qu’il ne faut absolument pas couper »
Le docteur Pierre Foldès, dont les travaux viennent d’être validés par la revue scientifique The Lancet, est un chirurgien urologue reconnu dans le monde entier pour avoir inventé et développé la chirurgie réparatrice de la vulve en direction des femmes victimes d’excision et d’infibulation 1. « Une pathologie d’origine humaine ! » s’indigne-t-il. Et qui touche 145 millions de femmes dans le monde. Militant acharné de la cause des femmes, il a procédé à plus de quatre mille opérations et a consulté des dizaines de milliers de femmes depuis une vingtaine d’années. À ce titre, il nous a paru le mieux placé pour répondre à nos interrogations inquiètes sur un drôle de commerce de chirurgie esthétique, qui semble s’installer durablement. Les femmes (et les hommes ?) veulent une nouvelle foufoune, une jolie minette, et sont prêtes à jouer du bistouri pour y parvenir…
Causette : Que pense le chirurgien, spécialiste de la reconstruction, de toutes ces opérations esthétiques dédiées à la vulve : labioplastie, déridage des lèvres au laser, gonflement du sexe, blanchiment de la vulve ?
Pierre Foldès : Je relie deux histoires. Il y a une vingtaine d’années, on ne savait pas du tout comment étaient faits un clitoris ou une vulve. Il n’y avait rien dans les bouquins d’anatomie et de physiologie : nous n’avions rien à reprocher aux exciseurs, car nous étions nous-mêmes des exciseurs. Moi, urologue, j’avais cent techniques pour réparer le pénis, mais rien pour le clitoris. Nous avons donc appris, ces dernières années seulement, ce qu’était une vulve, un clitoris. De ces recherches sont nées des techniques possibles de modification vulvaire. Puis s’est développée, aux États-Unis, une mode de modification du sexe dans lequel s’est engouffrée l’exploitation lucrative de la crédulité de certaines femmes. Il suffit de la remarque d’une copine ou d’un amant pour qu’elles se posent des tas de questions et que, vu qu’il n’y a pas de référentiel, se développent des besoins fantasmatiques qu’ont accueilli des chirurgiens sans scrupule. Cela a créé un certain nombre de dérives qui sont à dénoncer. Toutes ces chirurgies sont d’autres crimes contre la vulve : ce sont des actes qui visent à détruire quelque chose.
C : Comment expliquez-vous qu’à peine sortie de l’obscurité, la vulve soit persécutée ?
P. F. : Il y a une déviation du porno, qui a développé un standard cosmétique : une vulve imberbe est plus juvénile, plus séduisante. On a retiré les poils. Or, ils participent de l’identité féminine : regardez L’Origine du monde, de Courbet ! Mais on les a retirés et on a induit que « ce truc » était tout de même un peu bizarre.
C : Que dites-vous aux femmes qui viennent demander une chirurgie esthétique des petites lèvres ?
P. F. : J’ai vu arriver des dizaines et des dizaines de femmes qui voulaient se faire refaire les petites lèvres. 95 % ont des anatomies normales. La première consultation est extraordinaire : tout se passe à ce moment-là. Une femme qui doute de son anatomie, c’est comme une femme violée. Elle a, en plus d’un éventuel traumatisme, un sentiment de honte, de culpabilité. Elle est murée dans un silence entretenu par cette société androcentrée, pire que macho ! Elles viennent chercher essentiellement un dialogue. Je ne dis jamais « je vais opérer », mais « je vais vous expliquer », et cela a une vertu très thérapeutique. On en parle enfin de manière normée et normale. Pour une autre partie de ces consultations, il s’agit de rattraper des opérations de chirurgie esthétique qui, en plus de ne pas être justifiées dans la plupart des cas, comportent beaucoup de risques. J’en arrive à faire de la chirurgie réparatrice… de chirurgie plastique. Néanmoins, il existe une véritable hypertrophie des petites lèvres dans un peu moins de 5 % des demandes. Et là, j’opère.
C : Mais quand même, c’est plutôt moche non, une vulve ?
P. F. : Qu’est-ce qui n’est pas beau, dites moi ? Allez-y ! Quand on sait ce qui se cache derrière, en phase d’excitation, la vulve est un organe sublime ! Une petite lèvre est une merveille qu’il ne faut absolument pas couper. Il y a une partie externe avec un peu de peau spéciale, une partie interne faite de muqueuse et un bord libre qui comprend plein de petits récepteurs : c’est un vrai organe relié à des circuits neurologiques très complexes. La femme a un outil sublime dédié au plaisir et pas seulement à la procréation, au contraire des hommes. Il faut le crier aux femmes : elles ont un organe spécialement dédié au plaisir. C’est ça, la vérité. Ce n’est pas un truc qui pend et qui emmerde ! C’est une autre violence faite aux femmes de leur laisser croire. D’ailleurs, je commence à recevoir des femmes qui, suite à un cancer, ont eu une vulvectomie (ablation des grandes et petites lèvres) et souhaitent retrouver une fonction orgasmique. Je récupère le clitoris : comme pour les femmes excisées.
C : Donc, pratiquer une labioplastie réduit le plaisir sexuel des femmes ?
P. F. : Exactement. Attention, je ne suis pas opposé à cette chirurgie, elle est difficile. Le principal problème est son indication.
C : Une vulve vieillit-elle ?
P. F. : Je n’aime pas cette question. Je ne me permettrai jamais de dire un truc pareil. Il y a une évolution des tissus : poids des années, de la ménopause et des kilos qui peut provoquer des prolapsus [descente d’organes, ndlr]. Mais aujourd’hui, tout se soigne très bien entre dermatologie et THS (traitement hormonal substitutif). Une femme de 80 ans peut revendiquer une vie sexuelle normale.
C : Le monde scientifique vient de valider vos résultats et vos méthodes. Que ressentez-vous ?
P. F. : J’ai opéré près de quatre mille femmes et j’en opère près d’une cinquantaine par mois, c’est donc que la méthode doit être bonne. Mais pour parler au monde scientifique, il faut une reconnaissance de cette sorte, sinon, on n’existe pas. C’est le résultat de quinze années de travail.
1. L’infibulation consiste à suturer la majeure partie des grandes ou des petites lèvres de la vulve, en ne laissant qu’une petite ouverture pour que l’urine et les menstruations puissent s’écouler.
Publié dans Causette #26 – Juillet – Août 2012
Photo : S Toubon