Elle regarde quoi, cette belle bête aux grands yeux clairs et à la bouche lippue ? Qui voit-elle en me fixant ainsi ? Un être humain ? Un autre animal ? Où s’en va-t-elle quand elle se détourne, la démarche fière et la croupe puissante, et se remet à paître nonchalamment ? Ces questions ont turlupiné le réalisateur Emmanuel Gras au point de filmer pendant un an des troupeaux de vaches à la robe claire et d’en faire son premier long-métrage. Un peu plus d’une heure à la campagne, avec pour bande-son le chant des oiseaux, la rumination de ces belles et leurs meuglements. À peine quelques silhouettes d’éleveurs. Un film 100 % vache. « On s’intéresse aux animaux domestiques ou sauvages comme s’ils étaient les seuls dignes d’intérêt. On parle trop peu des animaux d’élevage. On ne montre jamais le bétail comme étant capable de ressentir des émotions », explique le réalisateur. Et pourtant, si, les vaches en éprouvent. Il faut les voir contentes comme tout de se retrouver entre copines et de courir partout comme des fofolles. Elles ont le sens de l’amitié, celui de l’instinct maternel. Leurs petits, ce qu’elles les aiment ! Hélas, souvent on leur enlève, et il faut les entendre meugler de douleur. Anthropomorphisme ? « Non, se défend Emmanuel Gras, c’est plutôt un film militant. Je voulais montrer combien la relation à l’animal est importante. Nous partageons la même terre et les mêmes mystères, nous devrions plus en tenir compte. » Militant ou pas, ce film est avant toute chose un merveilleux voyage. D’une rare sérénité.
Publié dans Causette #22 – Mars 2012