Nicolas Bedos, Dedans Dehors

« Révélation télé de l’année ». C’est l’histoire d’un homme encore jeune – 30 ans – qui pourrait avoir marché mille ans. Ça fait combien de kilomètres ? Beaucoup. Avec peu de lignes droites. Avant tout à la recherche d’un autre lui-même qui ne serait plus dans la culpabilité d’être bien né. Ensuite, le reste suivrait. Auteur de pièces de théâtre et de scénarios depuis dix ans, c’est en quelques semaines qu’il parvient à une soudaine – et violente ? – célébrité grâce à sa « Semaine mythomane » qu’il livre, ou plutôt assène avec facétie chaque vendredi soir, en direct, dans l’émission « La Semaine Critique » de Franz-Olivier Giesbert sur France 2. L’occasion de poser quelques valises plombées ?

un poids. Quelque chose de lourd et d’agité dans cet immense être frêle. Il est deux. Il est là, mais déjà ailleurs aussi. Il est assis, puis debout, allume une cigarette, ouvre les fenêtres pour aérer, prend des notes, a froid, referme les fenêtres, s’assoit, se relève, va dans la cuisine, reprend une cigarette, descend une canette de Coca et s’inquiète de notre confort. Cette ronde durera tout le temps de la très longue interview. Il parle beaucoup, semble se confier, mais c’est en creux qu’il faut l’écouter. Nicolas Bedos souffre de souffrir ou d’avoir souffert et fait souffrir. Depuis toujours. Les dés étaient pipés. Élevé à Neuilly par des parents (voir encadré) « de gauche et célèbres », il a du mal à assumer ce grand écart. « J’étais un gosse un peu schizophrène, avec accès à beaucoup de matérialisme, fringues, marques, mais élevé dans une ambiance qui favorisait l’introspection et le littéraire. Chaque soir, on dînait en famille et on parlait. Beaucoup, et de tout. On se psychanalysait. Si la petite enfance a été joyeuse, à partir de 11 ans, ça s’est compliqué. Pourtant j’étais gâté, y compris de cœur ! » Ce dernier mot est prononcé les yeux dans les yeux, l’index tendu en guise de « rendez-vous compte ! » « Je faisais preuve d’une certaine précocité et j’en éprouvais une grande culpabilité. Pourquoi moi ? Est-ce que je mérite ? On peut être très bien élevé, choyé, aimé, écouté et on ne sait pas pourquoi on a des boules dans le ventre et on ne trouve pas le sommeil. » Il écrit très tôt. « Je voulais épater tout le monde, je voulais qu’on m’aime. J’écrivais des lettres, des poèmes à mes parents, aux amis, je trouvais ça très romantique. J’imitais assez bien le style XIXe. » Ach, le Romantisme, gross malheur ! Nicolas s’en entiche à mort. Et de tous ses corollaires, quête d’absolu et recherche impatiente de l’amour inconditionnel. Quant à parcourir La Carte du Tendre (1) au XXe siècle et à Neuilly, c’est une autre histoire ! « Il y a une démoralisation des rapports sentimentaux, et j’ai été élevé dans un quartier, et à une époque où on faisait n’importe quoi : la came, l’alcool, on couchait trop tôt, vite et mal. Il n’y a plus de sacré. Je rencontre des jeunes filles de 20 ans qui me disent que l’amour, c’est pas pour elles, elles l’associent à la souffrance. Je pense que la propension à l’amour est innée, c’est comme un virus : on est ou non frappés. » Alors, nous dirons que le garçon est souvent grippé. Les femmes font partie intégrante de sa vie, sa mère, ses sœurs et… ses amours plurielles.

Ce qu’il aime chez les femmes ? « Tout ! Les séduire, les écouter. J’éprouve presque un racisme pro-féminin ! Cela vient sans doute de la petite enfance, je lisais beaucoup, j’étais sensible et je ne me retrouvais pas dans ces mecs qui masquaient leur pudeur par des concours de b… Je suis à l’aise avec les femmes et j’aime l’ambiguïté, la possibilité… » Ksss, ça n’est pas un coureur, non, c’est un, comment dit-on ? Épicurien, esthète, beau parleur ? « Je me vante d’avoir toujours été avec des femmes passionnantes, drôles  et généreuses. J’aurais même aimé les aimer plus parfois ». Forcément les amours multiples multiplient les chagrins d’amour. Mais ce n’est pas perdu pour tout le monde. Les gadins, Nicolas Bedos les saisit à la gorge et les passe à la moulinette de l’écriture, pour surmonter la douleur. Ainsi est née après une rupture la pièce Le Voyage de Victor (2). Un homme et une femme se retrouvent longtemps après une grande histoire d’amour qui a mis au monde un enfant doux, déchiqueté par le tourment. Tiens, mais qui est cet enfant ? « J’écris pour transposer mes émotions dans des personnages la plupart du temps cramés par la vie, l’amour, la jalousie, la folie. Eva [sa pièce précédente, ndlr] parle de moi, souffrant d’avoir trompé la femme que j’aimais. Elle a lu la pièce, m’a dit : “mais alors tu avais compris ?” C’est en l’écrivant que j’ai compris, avant, je ne le savais pas. Tout est volatil. La bonne nouvelle, c’est que l’on se remet de tout ; la mauvaise, c’est que l’on se remet de tout. Il y a des secondes chances, des résurrections, j’en suis convaincu. On peut être vierge après deux cents personnes. »

Je ne sais pas si Nicolas Bedos est aujourd’hui un homme vierge, mais il est entré dans les ordres de l’écriture, elle l’a sauvé de bien des ressacs et on peut penser qu’elle sera sa fidèle épouse. « Aujourd’hui, entre mes diverses activités d’auteur, de metteur en scène et de chroniqueur, je bosse comme une brute. J’ai un goût pour le littéraire presque pédant. Avant, j’étais très sévère, mais je me détends… Il fallait absolument qu’il y ait un complément d’objet direct après le verbe et beaucoup d’adjectifs. Je m’offusquais qu’on n’ait pas lu Hugo et Tchekhov et que Beigbeder vende autant de livres. Aujourd’hui, je trouve ça plutôt bien. C’est une époque honnête et surprenante. »

C’est une bonne nouvelle que cette réconciliation avec son époque car, précisément, ce sont les internautes qui, en relayant ses « Interventions mythomanes » sur la toile, ont fait de lui en quelques milliers de connexions une vedette. On parle de « Révélation annuelle de la télévision » alors qu’il n’a commencé que trois mois plus tôt ! Effectivement, c’est un grand moment de jouissance de le regarder et l’écouter, pendant sept minutes, face caméra, les yeux gourmands, écorner les invités et autres têtes pensantes, bousculer les préjugés, et se caricaturer lui-même en happy few alcoolique mondain, hyper-sexué et vaniteux. « C’est un personnage, même si je sais que l’on dit souvent que je suis un coureur alcoolique et colérique. C’est faux mais par contre, je reconnais que je peux être tout ça en une nuit ! Je suis soit tout, soit n’importe quoi ! J’étais ! Mais c’était il y a longtemps… » Dans ce métier plutôt en vogue – chroniqueur –, il innove. Il tacle en souriant, séduisant, malicieux, rusé comme un renard, sympatoche jusqu’au bout. Même Marine Le Pen ne lui a pas résisté. Il l’a attrapée par le petit bout de l’hérédité, lui a fait crédit d’une possible intoxication familiale, en lui enjoignant de se délivrer du joug paternel. Comment a-t-il fait, lui, hein ?! Malin. Et plus efficace qu’un seau de haine sur la tête. « J’écorne, je gratte, je taquine les invités, mais je ne veux pas leur infliger un moment trop cruel. C’est un refus de blesser de façon directe. J’ai vécu ça dans certaines émissions où, en parlant de mes pièces, on me dégueulait dessus. J’ai trouvé ça violent. J’ai un problème avec les jugements péremptoires : on peut estimer que quelqu’un est médiocre, mais le hurler en direct, c’est autre chose. » Cette soudaine notoriété lui fait certes très plaisir mais, comme on peut le deviner, il temporise et s’étonne presque des compliments enthousiastes qu’il reçoit. « Je suis très encouragé, c’est curieux, c’est comme si je disais des choses politiques importantes alors que je prends des pincettes avec ça. Je suis le fils d’un homme beaucoup plus convaincu que moi ! Des gens comme lui ou Didier Porte sont des vengeurs qui créent du baume au cœur. Mes convictions sont floues. Moi, je doute. » Camus pensait que le doute est ce que nous avons de plus intime. Chez Nicolas Bedos, cela prend la forme d’une pudeur élégante où perle la solidarité. Même si l’avenir se présente sous un augure rassurant, il tempère, se méfie et n’oublie ni ce qu’il a enduré, ni surtout ce qu’il a fait endurer à ceux qu’il aime. « Je trouve que certains vendent de l’espoir de manière inconséquente. Mon matériau n’est pas la politique. Mes pauvres à moi sont ceux qui ont des chagrins, quelle qu’en soit la cause, santé, boulot, amour. De plus, en tant qu’enfant gâté par la vie, je suis irritant d’aisance et cela ne m’autorise pas beaucoup à la ramener. »
Une chose le préoccupe, « garder le temps du plaisir d’écrire. » Si celui-ci est en danger, il renoncera à la télévision. Et ce n’est pas une coquetterie. Nicolas Bedos va bien. Il va vers son désir sans estimer qu’il doit expier pour ça. « Aujourd’hui, quand il m’arrive des choses joyeuses, je me dis même “Eh bien tant mieux !” » Quelle arrogance, Nicolas ! Bon, y’a encore du boulot !

FILS DE…
Nicolas est le fils de Guy Bedos. Humoriste cinglant, sniper de politiciens de tous bords, redouté ou adoré, ce père imposant est le problème et la solution du fils. Pousse-t-on à l’ombre des grands chênes ? Nicolas n’est pas d’accord du tout. « Ça ne m’a jamais effleuré de vouloir prouver quoi que ce soit ! Nous sommes très très différents, on n’écrit
pas les mêmes choses, on n’a pas le même univers, le même rapport aux femmes, les mêmes lectures. Quant à la ressemblance physique, c’est un peu encombrant, il y a un mimétisme flagrant que j’essaie de gommer, mais c’est difficile. Gad Elmaleh ressemble
beaucoup à son père, mais personne ne le remarque ! » argumente-t-il en rigolant. N’empêche qu’au cours de la rencontre, il aura évoqué son père au moins soixante fois. M ais il a aussi une mère, non ? Comment vit-elle tout ça, Joë ? « C’est une femme brillante, ancienne danseuse, qui a une vie épuisante. Elle s’est rendue disponible et nécessaire, elle, elle est femme de et mère de… » Ouh, le boulot ! Encore une fois, ce sont les invisibles qui trinquent le plus…

1 La Carte du Tendre est une représentation topographique du Pays de l’Amour datant du XVIIe siècle. Elle doit permettre à l’amant de trouver le chemin qui le mènera jusqu’au coeur de sa douce en évitant les écueils tels le lac d’Indifférence ou la mer Dangereuse.
2. En tournée à partir de janvier avec Macha Méril et Guy Bedos.

Photo : Christophe MEIREIS

Publié dans Causette #12 – Janvier/Février 2011

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