Noyez-les à la naissance ou aimez-les !

Parents réjouissez-vous ! Vous qui avez subi, qui subissez, ou qui subirez les affres de l’adolescence de vos chers petits, voici un livre jouissif et jubilatoire. Tout ce que vous n’osez pas avouer, Étienne Liebig l’écrit haut et fort : « Les ados sont plus chiants qu’une pluie d’automne ! » L’adolescence est une maladie mentale à laquelle vous ne pourrez échapper.

La mission de l’ado, « c’est de quitter l’enfance à coups de pieds, de poings et de larmes pour nous gâcher la vie ». Le boulot de l’ado, c’est de vous empêcher de dormir, de vous mettre la rate au court-bouillon et de mettre en péril l’homéostasie familiale : la pousser au bord de l’explosion afin d’y trouver une nouvelle place.

Dans ce livre, l’ado est décrit comme un être primaire, possédant à peine une dizaine de mots de vocabulaire : « Quoi ? C’est clair ! Carrément ! Ça s’fait pas ! Hey, tu m’respectes pas ! Trop d’la balle, ta race ! », une sorte d’extra-terrestre qui vit à l’horizontale et possède certains dons : « ses yeux ont développé une capacité d’adaptation extraordinaire pour regarder les clips en perpendiculaire ». Mais « parfois il est obligé de passer à la position verticale pour aller, dans un sursaut, chercher un Coca dans le frigo ». Ce livre est désopilant : « Avoir un ado, c’est un peu comme boire de l’alcool en cachette, on a honte ! » Oui, oui, il a raison : combien d’entre nous ont menti à leur famille, à leurs voisins, en prétendant que, non, leurs enfants ne posaient pas de problème particulier. Comment avouer la cuite de la veille et les mauvais résultats scolaires ? Ça fait du bien de rigoler un peu car, bien sûr, le problème est sérieux et l’ado est un être nuisible surtout à lui-même. Il faut le protéger malgré lui. Mais quel boulot !

Évidemment qu’on les aime encore et toujours ces pauvres êtres difformes incapables de se projeter à plus d’un jour et à qui l’on demande d’être adulte pour le travail : « tu seras ingénieur ! » mais encore bébé en ce qui concerne la sexualité ou les sorties.

Pourtant l’ado doit remplir quatre missions pour se transformer en adulte : devenir sexué, unique, responsable et mortel. Rien que ça. Alors comment faire pour  l’accompagner dans cette mutation ? Cesser de vouloir faire correspondre son projet d’adulte à l’ado. Ne pas faire les parents branchés : fumer un pétard avec lui ou prétendre « a-do-rer » la musique pourrie qu’il écoute, tout en lui disant, finauds que vous pensez être, « tu sais Bob Marley a beaucoup travaillé pour y arriver », ne pas mettre de baggy car, souvenez-vous : le réflexe de survie de l’ado est de transgresser et plus vous ferez les djeuns plus la limite de la transgression sera élevée, or n’oubliez pas que cette andouille d’ado peut mettre sa vie en danger.

L’auteur, par le biais de la « théorie des jumeaux », réussit une superbe explication de texte de ce qui peut exister dans ce cerveau qui semble dénué de toute logique et apte à toutes les contorsions.

Ce livre, qui est un modèle de tolérance et d’amour envers nos enfants en partance, est aussi une attaque violente de la pathologisation générale qu’en fait la société.

Car l’ado est « bankable ». Une armée de spécialistes de tout poil s’est jetée dessus, les psys, les experts, les sociologues, les journalistes, les médias l’ont étudié, dépecé : l’ado serait victime de ses hormones ce qui expliquerait sa fatigue permanente, l’ado ne peut pas se projeter dans l’avenir et, des IRM le prouvent, l’ado est addict. À l’alcool, à la drogue, à la mode, à la musique, à Internet, les ados foutent le feu aux banlieues… Alors que simplement, l’adolescent en quête d’identité prend une bonne cuite, fume des pétards, s’habille selon son milieu social et géographique et passe ses nuits en boîte ou à chatter sur Internet.

« Ce parcours qui pourrait n’être qu’un mauvais moment pour nous va être récupéré, psychologisé, acheté, vendu, anthropologisé, médiatisé, enfiché jusqu’à devenir un drame », s’énerve l’auteur. Dernier exemple en date : l’interdiction de la vente d’alcool aux moins de dix-huit ans, qui vient devant le Sénat début mai. Ridicule, les ados se feront un plaisir d’en faire acheter par plus âgés et d’en consommer davantage. Il faudrait plutôt agir en prévention, « apprendre à boire », apprendre à « éviter les excès »… Mais ça, la société, le politique, l’adulte le refusent. Ce n’est pas politiquement correct, or c’est la seule notion que l’on voudrait inculquer à l’ado qui a besoin du contraire pour s’affirmer.

Ce livre est une somme de réflexions, d’argumentations, de repères qui vous aideront à « tenir » pendant cette longue période, la plupart du temps irrespirable.

Étienne Liebig sait de quoi il parle, éducateur de rue depuis 1978, il est aussi l’heureux papa de deux ex-ados qui lui ont permis, à coups de nuits sans sommeil, de réfléchir à la question. « Je crois qu’il faut un peu leur lâcher la grappe et les laisser vivre leur vie en leur donnant de l’amour. Heureusement, il n’y a pas de solution », soupire-t-il avec malice. On peut se sentir dépité par cette conclusion, mais dans ses yeux crépite le mot « heureusement ». Alors, tout devient lumineux.

 

Étienne Liebig est aussi un fieffé coquin qui a un certain nombre d’ouvrages érotiques à son actif, dont le dernier « La vie sexuelle de Blanche Neige » (éd. la Musardine). Il est musicien et également journaliste à Siné Hebdo.

Publié dans Causette #2 – Mai/Juin 2009.

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