Piapia

Instantané de la vie d’une jeune femme moderne, parisienne, mère et… attachée de presse. Elle fait pia pia pia toute la journée et se prend régulièrement les pieds dans le tapis de ses fantasmes. Elle doit être attentive aux artistes, nourrir sa fille qui râle, faire les courses, les devoirs et essayer d’avoir des flirts. Ah la bonne blague ! Tout au long de son errance, elle croise des chanteurs connus, d’autres déchus, des alcooliques, des vaniteux, des paumés, des journalistes fatigués et des fans prêts à tout. Mais, chaque matin, vaillant petit soldat, elle reprend sa marche et son caquetage : pia pia pia pia… Pour aller où, au fait ?

Je m’appelle Catherine Perrons (se prononce Per-Ron, pas PerronSE). J’ai 35 ans, je suis attachée de presse indépendante depuis sept ans. Attachée de presse pour la musique, pas la classique, mais le rock et la variété. Quand j’ai commencé, il y a dix ans, je ne savais même pas que ça existait. J’écoutais des chansons toute la journée et rêvais d’être actrice. Je rêvais que l’on me trouve formidable. Simplement.

Mon noviciat

Après mon divorce, il y a cinq ans, entre deux interviews, trois envois de dossiers de presse, un coup d’aspirateur, une séance de devoirs avec Angèle, une conférence de presse, le conseil de classe et les courses à Leader Price j’ai tenté, comme j’ai pu, de batifoler. Ma mère me l’avait proposé comme une dernière tentative lorsque, à quinze ans, je lui ai dit que je voulais me marier : « et tu ne veux pas butiner un peu plus ? ». Ah oui, c’est ça : butiner. Ça faisait partie de mon nouveau programme « femme libre ». Mais pour être libre encore faudrait-il en être éduquée ! J’étais championne du monde en vitesse de flirt. En une heure, ça avait commencé et c’était terminé. Si c’était pendant les vacances scolaires, comme Angèle partait chez mes parents en Corrèze, ça pouvait alors durer quelques heures de plus. C’était souvent très joyeux, parfois sans intérêt et j’avoue, ce fut souvent pitoyable. Je dois avoir une des plus belles batteries de casseroles du BHV. Mon vivier était forcément les gens du spectacle et tous les corps de métiers y afférant.

Ça se passait toujours de la même façon.

Il était une fois une soirée, une fête, un spectacle. Et je prends un verre, puis deux, puis quinze.

Et quand je bois c’est l’enfer : j’peux pas vous dire, c’est plus fort que moi, je finis toujours par sortir avec un garçon. C’est ma faute. C’est moi qui pars à la pêche, je ferre mon hameçon et je remonte le poisson. Des fois des beaux et malins, des fois des normaux, des fois des alcooliques, des fois des zonards, des fois des gros. Quoi qu’il en soit la pêche est toujours facile. Les eaux sont fécondes. En plus, pas besoin d’être Claudia Schiffer. Remarquez, c’est pas non plus toujours Bruce Springsteen que vous remontez dans le filet ! Plus souvent, ça ressemble à Mickey Rourke sur le seuil de chez Betty Ford. Faut être sincère.

Après ça se corse, parce que j’embrasse (ah ça j’adore ! Mes amis m’ont même surnommée « l’embrasseuse »), mais je ne couche pas toujours. C’est pas que je n’en ai pas envie, mais je suis lasse, le scénario m’ennuie. Je ne dois jamais rentrer trop tard, je ne veux pas non plus faire l’amour chez moi, à cause d’Angèle. Quand un homme me raccompagne malgré tout à la maison, je l’installe dans le salon, je baisse la lumière et j’allume la télé : c’est la lueur idéale pour éviter la cruelle vérité de l’ivresse. Nous nous asseyons, babillons, prenons un dernier verre – en général, j’attaque le Coca : je voudrais que raison revienne ! Mais le Coca n’est pas magique, et s’il dissout les pièces de deux centimes, il peine bien davantage à éliminer toute trace d’alcool dans le sang ! Nous flirtons légèrement et les ennuis commencent : le monsieur s’emballe, moi pas trop… Si Angèle se réveillait !

Alors commence ce que mes collègues ont surnommé «le parcours moquette». C’est-à-dire qu’à force de s’embrasser on glisse du canapé sur la moquette. La plupart du temps nous rampons sous les yeux de mon chat Toboggan et de Laure Adler qui anime le « Cercle de Minuit » (c’était autrefois !). Quand je sens que je m’enflamme trop je réajuste mes vêtements, remonte sur le canapé, me recroqueville et écoute Laure Adler. Ça peut durer comme ça des heures : les hommes n’abandonnent jamais, mais moi non plus. Arrivent les documentaires animaliers. L’autre jour, en pleine résistance sur la moquette, je regardais, en coin, un reportage sur la remontée des saumons en rivière : plus ils s’approchent du but et plus ils rougissent. Ça m’a soufflée ! Décidément on en apprend à tout instant… Je me demande même s’ils ne meurent pas à la fin. J’en aurais bien parlé avec mon partenaire, mais il valait mieux ne pas l’agacer avec les poissons.
Ça devenait assez pénible comme ça. Une autre fois peut-être.

Vers six heures du matin, en général, je dis : « Il est six heures, j’aimerais que tu partes, Angèle va se réveiller dans une heure, je vais redevenir maman ». Après quelques banalités réglementaires l’homme, épuisé par le siège de la moquette, abandonne la place en vaincu. Il est six heures trente, je claque la porte et me fais un café. Je m’ausculte dans la glace, j’ai le visage irrité et tout rouge « Saumons, mes frères, vais-je mourir ? ». Je ne ressemble plus à grand chose. Je me douche, enfile un pyjama, prépare le petit-déjeuner de ma fille, j’attends doucement son réveil et panique déjà à l’idée de cette longue journée de travail qui s’annonce les yeux brûlants, un gant de toilette dans la bouche. N’empêche que ces « parcours moquette » créent de sacrés liens, des liens sacrés : la tendre complicité du combat partagé et aussi de légères brûlures synthétiques sur la peau et dans l’âme.

Mais tout ça ne rimait à rien, et un beau jour, un peu triste, en me promenant avec mon amie Anne le long du canal de l’Ourcq, je décidai d’entrer en noviciat : un noviciat laïque, à la maison. Il fallait que je ne fréquente plus aucun garçon, jusqu’à… Je n’en savais rien. Jusqu’à ce que je devine que j’étais prête. Ce fut une période délicieuse. Par prudence, je bus moins pendant les cocktails et les soirées. J’abordais tous les nouveaux de la même façon, absence de séduction totale : et ça marchait ! Personne ne me regardait. Non, je rigole ! Mes rapports devenaient doux, pendant les conversations, je conversais vraiment, je ne calculais plus « comment le faire mordre à l’hameçon ? ». Mes filets séchaient en plein soleil, doucement balancés par un vent léger et tiède. J’étais d’autant plus contente que personne ne me plaisait, au fond !

Et puis, que ferais-je d’un amoureux en chair et en os ? Il s’installerait le soir entre ma fille et moi sur le canapé ? ! Il ne connaît pas ma fille : elle le mordrait.

Illustration : Stéphanie RUBINI

Publié dans Causette #1 – Mars/Avril 2009

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