Bernard Werber, L’iconoclaste

Il fait partie des écrivains français contemporains les plus populaires et a été traduit dans une quarantaine de langues, Bernard Werber continue de tracer sa route d’auteur inclassable, tanguant entre science et spiritualité. Son dernier ouvrage La Prophétie des abeilles, est sorti en octobre.

Voici l’antre de Bernard Werber, l’écrivain d’origine toulousaine traduit en une quarantaine de langues et qui affiche 30 millions d’exemplaires vendus dans le monde. Une vaste pièce où domine le noir. On y pénètre sans chaussures. Un très grand bureau trône au centre, surplombé d’un lustre d’où s’échappent des breloques translucides. Des étagères pleines de livres, des tas de notes accrochées sur un large tableau noir, des jeux d’échecs posés ici et là, sur un meuble chinois rouge carmin, un globe terrestre, une haute statue couleur or – un bouddha thaïlandais. « Ce n’est pas religieux, il représente la spiritualité orientale. » Derrière les portes, le bruit d’une famille ordinaire : des rires d’enfants, une jeune chienne qui joue, son nom est Princesse Leia. Ça ressemble à un livre de Bernard Werber, non? « C’est donc ici que vous écrivez? – Non, là-bas. » J’aperçois une minuscule table ronde et un fauteuil confortable posés devant la fenêtre, le seul endroit où l’auteur peut plonger ses yeux dans le ciel quand il écrit.

Son succès, il le doit à ses intrigues mêlant savamment science et spiritualité. C’est la « Werber’s touch », et on ne s’étonne plus que la Corée du Sud absorbe la moitié des ventes mondiales. Son dernier ouvrage, La Prophétie des abeilles, continue de disséquer la nature humaine. Son but : amener le lecteur à penser par lui-même sur le monde des possibles. Bernard Werber a inventé « la philosophie fiction ».

Bernard Werber est le maître de ses horloges. Depuis l’âge de 16 ans, pas un matin, il n’a raté son rendez-vous avec l’écriture : de 8 heures à 12 h 30, et c’est comme ça, qu’il vente ou qu’il pleuve, Noël et premier de l’An compris. Depuis peu, il a ajouté un 18-19 heures pour l’écriture de « nouvelles ». « Parce que plus j’écris, plus j’ai envie de savoir », explique-t-il.

Le reste du temps, s’il n’est pas en dédicace, en conférence ou sur scène, il fouille, enquête, rencontre des spécialistes. Il s’informe. Il médite. Il pratique le yoga et le voyage astral. J’imagine qu’il dort parfois… Puis au matin, c’est reparti pour un tour ! Encore un matin, où le plus souvent il jette dans la petite poubelle de son ordinateur dernier cri, ce qu’il a écrit la veille, et il repart à zéro. Pour exemple, La Prophétie des abeilles a connu 12 versions différentes, jusqu’à être entièrement réécrite trois mois avant la parution, l’auteur jugeant que la fin « n’était pas à la hauteur de l’attente de ses lecteurs ! » Il faut imaginer Sisyphe heureux !

« L’écriture, c’est un muscle », assure Bernard Werber. En ce cas, il peut postuler au championnat du monde de culturisme. Car ce qu’il nous livre tous les ans, toujours le 1er octobre (une sorte de toc depuis 1996), c’est du costaud, 600 pages d’intrigues qui mêlent science, spiritualité, monde animal, histoire et fin du monde. Ses livres ne sont pas de simples thrillers, ce sont des objets de réflexion, pédagogiques et ludiques. Le lecteur en sort enrichi, éveillé. D’où le concept de « philosophie fiction » que l’auteur aime employer : « Lire, c’est se donner des outils pour construire sa force et sa liberté. »

Bernard Werber est aussi présenté comme un « auteur animalier », mais c’est un peu réducteur : « Quand je regarde des animaux, je les regarde dans les yeux, je vois quelque chose qui ressemble beaucoup à une pensée intelligente et à une personnalité. Dans mes livres je ne parle que des humains, mais pour comprendre un système il faut s’en extraire, alors je prends les abeilles, les chats, les rats, les dauphins, les porcs, les fourmis… »


Les fourmis ! Ce sont ces bestioles qui l’ont conduit au succès en 1991, quand paraît le premier tome de la trilogie des Fourmis. Quand il présente le manuscrit à Albin Michel, il fait 1 500 pages – 100 versions et douze ans de travail –, de quoi faire reculer n’importe quel éditeur, mais ce dernier (auquel il est resté fidèle) voit en cet homme doux et plutôt effacé un phénomène à venir – à la condition de réduire l’ouvrage à 350 pages, faut quand même pas exagérer. Et c’est gagné ! Les Fourmis vont faire le tour de la planète pour atteindre les 20 millions d’exemplaires vendus. Et nombre de parents vont se taper des bocaux remplis de terre et de fourmis que leurs adolescents adorés rapportent dans leur chambre ! Tout le monde veut sa fourmilière !

« Le système scolairene me convenait pas,
j’avais de gros problèmes de mémorisation. »

Tout comme l’enfant solitaire qu’était Bernard Werber. Il aimait passer ses vacances scolaires chez ses grands-parents dans la banlieue toulousaine: « Je restais des heures dans leur jardin et j’observais les animaux. La plupart s’enfuyaient à mon approche – les lézards, les grenouilles, les oiseaux –, mais pas les fourmis, elles montaient sur ma main. J’ai commencé à les élever dans des pots. » Tous les lundis, il achète un journal naturaliste. « Je m’en servais pour mes observations. »

Timide, à part du groupe, il est retranché dans son monde intérieur. « Le système scolaire ne me convenait pas, j’avais de gros problèmes de mémorisation. » Il devient alors un lecteurcompulsif – il se souvient aujourd’hui de son premier livre, lu à 7 ans : « C’était La Guerre des boutons, de Louis Pergaud. Je l’ai dévoré. Depuis, je n’ai jamais cessé de lire. » Philip K. Dick, Jules Verne, Frédéric Dard sont ses premiers maîtres. Il a 8 ans quand il écrit sa première nouvelle : l’histoire d’une puce qui part à l’assaut d’un corps humain. Son professeur le félicite mais le prévient que le début ne va pas du tout : « Je suis une puce née d’une mère pucelle et d’un père puceau », l’écrivain en rit encore. « Je n’avais pas compris dans quel monde je vivais ! » Depuis, il soigne ses incipit !

Ainsi, il se construit une vie faite de lecture, d’écriture, d’expériences diverses, sa curiosité étant sans limites. Si l’un de ses copains s’intéresse à l’électronique, la photo ou le dessin, alors il fonce: « J’allais vers des garçons et des filles qui m’apprenaient des choses. » Cependant, il ressent une grande frustration, car il ne parvient pas à intéresser les autres lorsqu’il leur parle de ses expériences. L’écriture s’impose donc comme le moyen « de transmettre des informations sans que cela devienne ennuyeux ». En parallèle, il entame des études de droit, bifurque en criminologie, puis en école de journalisme. Il exerce pendant quelques années le métier de journaliste scientifique.


Malgré le succès et les sollicitations, le tout jeune sexagénaire semble inchangé. Calme et généreux, il répond à vos questions comme si c’était la première fois qu’il les entendait. Il parle avec ses lecteurs. De plus, c’est important, cet homme n’est pas prosélyte, que ce soit dans ses livres, ses cours d’écriture ou son spectacle, il s’en tient à proposer des mondes possibles. Jamais, il ne vous demande de se ranger derrière ses convictions. Plaisir d’offrir.

Une fois par mois, il est sur la scène du théâtre des Trois Baudets à Paris, pour présenter Voyage intérieur, qu’il qualifie lui-même d’« objet théâtral non identifié ». Il s’agit d’une expérience interactive d’hypnose régressive, sorte de méditation guidée qui doit permettre aux spectateurs d’explorer leur enfance, leurs vies passées et à venir. Après chaque étape, il demande de lever la main, « ceux pour qui ça a marché » et « ceux pour qui ça n’a pas marché ». C’est une ambiance
incroyable, joyeuse, pour un public transgénérationnel, à peine plus de femmes que d’hommes, composé de ceux qui doutent et de ceux qui croient. Mais tous jouent le jeu. Personne ne juge
l’autre et surtout pas celui qui guide cette méditation. De plus, Werber aime jouer avec ses propres expériences. Il confie que d’après une médium, il aurait connu 111 vies dont seulement
11 intéressantes. Et de les détailler, tout en laissant la porte ouverte sur le mystère, car la frontière entre l’imagination et le réel est poreuse. Cette expérience d’hypnose régressive
ouvre La Prophétie des abeilles, livre qui s’intéresse aux causes et conséquences d’une éventuelle disparition des abeilles.


« Tout est parti de cette phrase attribuée à Einstein, “Si les abeilles disparaissaient de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre”, explique Bernard Werber. Les abeilles pollinisent 80 % des végétaux. En Chine, on a perdu beaucoup d’abeilles qui sont remplacées par des humains qui utilisent des petites pincettes pour mettre du pollen dans les fleurs. Rappelons que les abeilles sont là depuis 120 millions d’années, les hommes seulement 3 millions d’années. Elles sont irremplaçables et sont en train de perdre en France la bataille contre les pesticides et les frelons asiatiques. »

Son livre sonne l’alarme, mais l’auteur refuse de se définir comme un « lanceur d’alerte », ce terme sonne trop politique, domaine qui ne l’intéresse pas. « Je crois beaucoup au “je vous
donne des informations et vous décidez ce que vous en faites”. Il faut prendre les gens pour des êtres capables de comprendre seuls. Il faut arrêter d’infantiliser la population. Quand on comprend quelque chose, on peut changer de comportement, il n’y a alors pas besoin de mettre une loi. » Werber parie sur le fait que nous pouvons tous agir en conscience, chacun à notre
hauteur. Avec la connaissance, l’intuition s’éveille.

Bernard Werber, dont la popularité dérange parfois certains de ses confrères, pourrait bien être notre prochain Nostradamus. Un visionnaire dont on comprendrait chaque texte, tant il est dégraissé et accessible. Il ne reste que la chair du savoir, frissonnante et savoureuse à souhait.


Consulter l’article en pdf sur Terre Sauvage N°397 – Février 2022.

Une trentaine d’ouvrages, romans, nouvelles, BD, dont, chez Albin Michel :
1991, 1992, 1996 : La Trilogie des fourmis
1994 : Les Thanatonautes
1998 : Le Père de nos pères
2016, 2019, 2020 : le cycle des chats : Demain les chats, Sa majesté des chats, La Planète des chats
2021 : La Prophétie des abeilles

2007 : Nos amis les Terriens, film de Bernard Werber, produit par Claude Lelouch.

Son spectacle Voyage intérieur, une fois par mois, aux Trois Baudets (Paris, 18e arr.). Il est prudent de réserver. lestroisbaudets.com

Son site officiel très complet.
bernardwerber.com

1 réflexion sur « Bernard Werber, L’iconoclaste »

  1. Avatar de Anne Céline Beyssac
    Anne Céline Beyssac 02/11/2023 — 21:53

    Il sort que maintenant ? Il a l air super .j ai commencé la boîte de pandore mais ça m a pas plu…mais les abeilles ou son spectacle c est tentant Bon à demain Bisous

    J’aime

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