Voici un livre rare. Un roman graphique plus exactement, car bandes dessinées (en anglais), illustrations et littérature s’enchâssent dans ce journal intime. C’est Minnie, 15 ans, qui le tient. On est en 1976. Minnie vit dans un San Francisco très licencieux et vient encore de se faire virer d’un lycée. Peu de monde autour d’elle : son père a disparu ou presque, son ancien beau- père est bienveillant, mais pas que. Minnie vit avec sa mère, alcoolique, peu aimante et irresponsable, et sa sœur Gretel, dont elle se fout un peu. Celui dont elle se fout moins, c’est Monroe, le petit copain de sa mère, qui vient presque tous les jours. Ils vont coucher ensemble, régulièrement. Cette année qu’elle consigne dans ce fameux journal sera explosive et douloureuse : Minnie se saoule salement la gueule, se drogue, fait beaucoup l’amour – ça, elle aime vrai- ment. Mais Minnie s’ennuie, s’inquiète, aime dessiner, Minnie traîne avec n’importe qui et n’a qu’elle pour se récupérer.
Sa quête existentielle est désespérée. Souvent désespérante aussi d’ailleurs… Elle veut tout, tout de suite, et trop vite. C’est un livre dur et irrésistible. Parce qu’il nous oblige à continuer la lecture. Car nous vivons à la verticale de Minnie, à sa hauteur. Dans la crudité et la violence de ce moment de la vie si fragile. Nous écoutons Janis Joplin, planons sous LSD, voyons pour la quinzième fois The Rocky Horror Picture Show… et finissons par désirer Monroe.
L’adolescence disséquée
L’auteure, Phoebe Gloeckner, qui a beaucoup emprunté à sa vie pour écrire ce livre, dissèque l’adolescence, le rapport primordial au corps. Le désir et le droit d’une sexualité brute, pas brutale. C’est précis, sans fioritures. Ses études d’illustratrice médicale doivent y être pour quelque chose. Certaines critiques aux États-Unis, où le livre est sorti en 2002 sous le nom de The Diary of a Teenage Girl, ont évoqué un choc à la hauteur de L’Attrape-Cœurs de Salinger.
Saluons la jeune maison d’édition française La Belle Colère, qui sort là son cinquième livre. Spécialisée dans l’adolescence, car « c’est un âge de bruit et de fureur, de violence et de sexe, d’exaltation et de dépression, d’amour et de colère. En bref, un âge éminemment littéraire », explique sa plaquette. Elle a trouvé là une pépite, un diamant non taillé.
Vite, trop vite, de Phoebe Gloeckner. éd. La Belle colère, 336 pages, 22 euros.
Publié dans Causette #59 – Septembre 2015