Michel Onfray “Il faut arrêter de criminaliser le débat”

Il est habitué à se faire mitrailler, mais il continue à publier des livres, donne des conférences et anime son université populaire. Il a pour lui l’éloquence et l’opiniâtreté. De quoi redonner la gnaque, et reprendre la parole.

causette : quelle analyse faites-vous de cette époque où chacun donne son avis sur tout et où tout se vaut ?
Michel Onfray : Nous n’en avons pas fini avec le logiciel coupeur de tête de la Révolution française où, au nom de la Vertu, mais aussi du Peuple et de la Liberté, on a envoyé au rasoir national des milliers de gens qui n’étaient, eux, ni des tueurs, ni des assassins, mais qui avaient juste le tort de ne pas obéir au politiquement correct du moment. Ce ruisseau de sang coule dans l’Histoire de France depuis 1793. Aujourd’hui, la guillotine, c’est le Net : l’insulte, le mépris, le travestissement de la pensée…

Chacun ne s’autorise plus que de lui désor- mais et le règne des journalistes d’opinion cultivés qui faisaient des enquêtes a laissé place à celui de narcisses qui picorent sur Internet et produisent une information incestueuse planétaire faite de potins et de bruits d’égouts.

De quelle façon s’est décomplexée cette parole ?
M. O. : Je mets ça sur le compte de l’effondrement de la morale. Le devoir n’existe plus dans cette société où chacun ne revendique plus que des droits. « J’ai le droit d’être écrivain, d’être une vedette… » Il suffit d’avoir un ordinateur. Le chroniqueur gastronomique est celui qui va manger et dire “j’aime pas” sur TripAdvisor. L’expertise a dis- paru. Le « j’ai le droit de m’ex- primer » se double d’un « et je ne me reconnais aucun devoir à votre endroit » qui rend possible l’insulte, la haine, le mépris, ce que permettent l’anonymat du Net et son statut d’extraterritorialité juridique. Le négationnisme est criminalisé dans un livre ou à l’oral, mais encouragé sur Inter- net où, sous prétexte de liberté, on peut tout dire et faire, y compris de manière illégale – dire que les chambres à gaz n’ont jamais existé. Les effets de l’absence de morale se font sentir plus qu’ailleurs sur le Net qui est la pointe avancée de notre prétendue modernité.

Qu’est-ce qui a provoqué ça ?
M. O. : Notre civilisation qui frôle les deux mille ans d’existence meurt de sa belle mort, ce qui est normal : les civilisations naissent, croissent, vivent, décroissent, meurent et disparaissent. Mai 68 est à penser dans cette configuration comme un moment nécessaire et heureux de négation de la civilisation occidentale qui, hélas, n’a jamais été suivi par une positivité avec de nouvelles valeurs, une nouvelle éthique. L’autorité a été abolie, or il n’aurait pas fallu l’abolir en tant que telle, dans l’absolu, mais en regard de ce qui la qualifiait – patriarcale, paternaliste, phallocrate. De plus, le Net est devenu non pas le lieu de la liberté, mais de la licence. Il permet la libération des passions tristes, pour parler comme Spinoza : haine, envie, ressentiment, mépris… Plane l’idée qu’il va s’autoréguler. Je ne crois pas à ça. C’est comme le libéralisme et cette idée que, si on laisse faire, une sorte de main invisible finira par faire le bonheur de l’humanité. Mais quand on laisse le Net libre, on voit ce que ça donne : Soral et Dieudonné qui font des scores terribles…

Quelles solutions alors pour rendre la parole confisquée ?
M. O. : Il faut arrêter de criminaliser le débat. Cesser aussi de croire que c’est un match de catch qui permet d’augmenter l’audimat, fut- ce au détriment de la qualité des échanges. À l’époque où le libéralisme ne faisait pas la loi partout, le débat existait avec courtoisie et intelligence. Souvenez-vous de Dumayet, Pivot ou de l’excellent Pierre-André Boutang. Et je vais défendre ma paroisse, mais créer des universités populaires est aussi une des solutions. Voilà des endroits où le débat est possible. Moi qui ai publié des livres contre la psychanalyse freudienne, qui suis athée, anti- libéral de gauche en politique, j’y accueille des séminaires d’amis qui défendent la psychanalyse, la religion catholique et la social-démocratie libérale. Que chacun médite cette formule, elle rend possible

le respect des opinions d’autrui et le débat véritable.

Photo : Archive Ouest-France

Publié dans Causette #55 – Avril 2015

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